Gabriel Guéret n’appartient pas à la catégorie des auteurs dont on peut établir avec précision le parcours. Il a néanmoins fait l’objet de plusieurs témoignages qui permettent à la fois de situer ses oeuvres et d’esquisser sa personnalité.
Le plus ancien d’entre eux est une notice publiée dans l’édition de 1707 du Grand Dictionnaire historique de Moréri, p. 129-130, qui sera reprise textuellement dans le Grand Dictionnaire historique de Goujet (1732). Elle est complétée dans le Nouveau Supplément de Goujet et Mercier, 1749, p. 889.
La substance de Moréri est reprise par Niceron, qui indique explicitement sa source : Mémoires pour servir à l’histoire des hommes illustres dans la République des Lettres, t. XXXVI, Paris, Briasson, 1736, p. 66-71.
Dans son Histoire abrégée des journaux de jurisprudence française, (Mercure de France, juin, 1737, p. 1261-1296), A. G. Boucher d’Argis, avocat au Parlement de Paris, met l’accent sur les publications juridiques de Guéret, tout en rappelant sa carrière dans les Belles-Lettres.
Tel est déjà le point de vue de Pierre Taisand, Les Vies des plus célèbres jurisconsultes de toutes les nations, tant anciennes que modernes, Paris, L. Sevestre, 1721, p. 295.
Dans la Bibliothèque française (vol. 2, 1741), l’abbé Goujet mentionne à diverses reprises les avis de Guéret sur l’éloquence de la chaire et du barreau, en soulignant à chaque fois l’esprit judicieux de celui qu’il présente comme un célèbre critique.
Des témoignages plus tardifs laissent entendre que le nom de Guéret reste, durant tout le XVIIIe siècle, une référence connue dans les milieux lettrés. Ainsi la notice de Lambert dans son Histoire littéraire du siècle de Louis XIV, Paris, 1751, t. I, p. 348-350, qui se borne à refondre les informations récoltées par Moréri et les historiens du droit dans une narration élégamment circonstanciée. D’autres compilations de ce genre sont mentionnées par Bernard Beugnot dans l’article Guéret du Dictionnaire des journalistes en ligne.
Un homme de loi adonné aux belles-lettres
Gabriel Guéret appartient à la génération des années 1640, qui est aussi celle de Donneau de Visé, Boursault, Mlle Desjardins et sans doute Somaize. On ne se risque guère en suggérant, à la suite de Niceron, qu’il a fait ses humanités avant de s’adonner au droit. Il aurait en outre, dans son jeune âge, cultivé la poésie, sans pour autant aller jusqu’à faire imprimer des oeuvres apparemment vouées à l’attention éphémère d’un entourage bienveillant. Il nous reste notamment un quatrain liminaire publié dans le recueil d’André-Louis Personne, Lettres et billets en tous genres d’écrire, Paris, Raveneau, 1662 :
On n’a point encor vu d’Ouvrage plus parfait,
Aux plus rudes censeurs il ne saurait déplaire;
Et si PERSONNE ne l’eût fait,
Personne ne l’aurait su faire.
Cet échantillon suggère une inspiration galante cultivant l’art de la pointe. Une seconde pièce d’escorte, adressée à Jean de La Forge pour son Cercle des femmes savantes (1663), relève du même registre.
Les débuts professionnels de Guéret coïncident donc avec le commerce des écrivains, ainsi que l’atteste Boucher d’Argis : “Il fut reçu au Serment d’Avocat vers l’an 1660. Pendant les premières années qu’il suivit le barreau, il partageait son temps entre les belles-lettres et la jurisprudence, et donna au public divers ouvrages de littérature.” On notera la formulation assez vague, “vers l’an 1660”, qui tranche avec les informations beaucoup plus précises que prodigue ailleurs le même témoin. Il est en mesure, par exemple, de fournir la date exacte (12 août 1659) de la réception de Jean-Baptiste Blondeau, collègue, ami et collaborateur de Guéret. Sans doute Boucher d’Argis ne cherche-t-il nullement à relativiser la part du métier chez celui qu’il présente au contraire comme une des gloires de la science juridique. Mais le rappel un peu nébuleux de ses rapports officiels avec le Parlement de Paris pourrait annoncer une relation distante à l’exercice normal de la profession. Est-il possible, sans anachronisme, d’appliquer à Guéret la distinction qu’opère Le Dictionnaire de Trévoux (1771) entre l’avocat en Parlement, et l’avocat au Parlement ? Le second fait carrière, tandis que le premier se contente du titre. On notera en tout cas que, lorsqu’il apparaît explicitement en qualité d’auteur de ses ouvrages, Guéret est régulièrement désigné comme avocat en Parlement :
Le Caractère de la sagesse païenne, 1662 : titre et privilège
La Carte de la Cour, 1663 : privilège
Entretiens sur l’éloquence, 1666 : privilège.
La formule correspond à tout le moins avec une indication de Moréri : “Guéret plaida peu, mais il fut extrêmement occupé dans le cabinet, où il réussit parfaitement”. Cet homme de cabinet, que nous appellerions peut-être aujourd’hui un consultant, ne nous intéresse qu’à titre secondaire. On verra cependant que cette posture n’est pas sans rapport avec sa carrière littéraire qui, si elle n’occupe qu’une période limitée de sa vie, porte en revanche toutes les marques d’un engagement intense.
Le critique mondain
L’entrée en littérature de Gabriel Guéret, que l’on peut situer aux environs de 1662, passe manifestement par une initiation aux codes de la mondanité. En témoigne l’un de ses premiers ouvrages, La Carte de la Cour (1663), que son titre aligne sur un modèle en vogue. Le jeune homme qui signe la même année une pièce d’escorte dans le Cercle des femmes savantes et dans le recueil d’André-Louis Personne, a selon toute évidence compris le parti qu’il peut tirer, pour sa carrière, d’un public acquis aux nouveaux modèles sociaux. La Carte de la Cour présente ainsi plusieurs traits qui l’apparentent au Dictionnaire des précieuses. A l’adresse du solitaire Hydaspe, que l’auteur invite à rompre avec sa vie austère, le paysage de la cour déroule une suite de portraits, accompagnée de conseils prétendument destinés à faciliter les progrès du néophyte. Cette manière de jouer les guides autorisés ne saurait faire illusion : le regard un peu trop surplombant trahit une science neuve. Les vertus très conventionnelles dont Guéret dote les vedettes de la cour attestent, s’il fallait une preuve, qu’il n’en parle que par ouï-dire. On notera en passant que ce statut périphérique est aussi la caractéristique de Donneau de Visé. Par ailleurs l’initiation aux usages et aux secrets du monde pourrait n’être que la strate la plus visible d’un opuscule où se profilent déjà des considérations littéraires annonciatrices du Parnasse réformé.
Du reste, le thuriféraire qui brosse d’un même pinceau enthousiaste les fastes de la cour et le climat raffiné des ruelles, n’est peut-être pas dupe de son jeu. A plus d’une reprise, l’excès dans la louange suggère une charge ironique. D’autant que l’ami qui s’emploie à secouer Hydaspe de sa torpeur de misanthrope vient de publier un recueil tout accordé à l’esprit de la retraite, Le Caractère de la sagesse païenne dans les vies des Sept Sages de la Grèce. En apparence, le sujet est suffisamment banal pour relativiser la signification de ce coup d’essai, qui pourrait n’être qu’un prolongement d’exercices scolaires. A moins qu’il ne faille y voir un digest à l’usage des lecteurs mondains, comparable à L’Esprit de Sénèque (1657) de Puget de La Serre, que met précisément en question Le Parnasse réformé. Le titre retenu pour cette prosopographie simplifiée à l’usage des gens du monde n’est en tout cas pas indifférent, puisqu’il fait écho à la fameuse problématique de la vertu des païens, agitée autour du traité éponyme de La Mothe Le Vayer (1643). Parallèlement, la célébration des philosophes mythiques de l’Antiquité joue avec la renommée qu’ils ont acquise par le biais du genre romanesque. Solon, par exemple, est une figure notable du Grand Cyrus. Moréri est finalement bien inspiré quand il situe les Sept Sages de la Grèce au point de départ de la carrière critique de Guéret.
Avant d’en examiner le déroulement, on s’arrêtera encore aux dédicaces de ces premiers ouvrages, qui pourraient refléter l’état d’esprit, voire les ambitions de l’auteur. En choisissant de d’offrir à Madame Colbert La Carte de la Cour, Guéret semble paradoxalement favoriser une “pièce rapportée”, tant il s’avère que l’épouse du premier ministre, issue comme son mari du milieu de la finance, ne figure que par accident dans l’entourage du jeune monarque. Comment interpréter cette stratégie oblique ? Un rapport de clientélisme n’est pas à exclure, d’autant que Colbert vient de fonder l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, dont fait partie l’abbé d’Aubignac, dans les parages duquel on retrouvera Guéret. On se rappellera par ailleurs qu’en 1663 le procès de Fouquet occupe tous les esprits : présenter un ouvrage à Madame Colbert dans un tel contexte n’est certainement pas un geste neutre.
De son côté, Le Caractère de la sagesse païenne s’ouvre sur une épître très flatteuse à l’endroit de Louis-François Lefèvre de Caumartin qui, en sa qualité de maître des requêtes, appartient au conseil privé du roi. En 1662 déjà, Guéret semble se tourner vers la cour par l’entremise d’un grand commis, enraciné en l’occurrence dans l’élite de l’ordre judiciaire : le dédicataire, outre ses titres de gloire personnels, peut se réclamer d’un grand-père garde des sceaux de Louis XIII. On ne connaîtra jamais les raisons précises qui dirigent l’avocat frais émoulu vers ce haut personnage, avec lequel il entretient peut-être une relation de clientèle - il mentionne la “bonté” de Caumartin “pour le plus proche de [ses] alliés” - . Ce qu’on peut toutefois retenir de sa démarche, c’est qu’elle vise moins l’espace purement symbolique de la cour que des relais concrets qui, tout en inscrivant sa production littéraire dans le registre ultime de la célébration du prince, sont en mesure de lui assurer une diffusion dans l’espace de la ville. La manière dont Guéret se profile dans le champ littéraire relèverait de ce qu’Alain Viala désigne comme une “stratégie du succès”. Stratégie prudente en l’occurrence, qui aux ornements illustres et inaccessibles de la jeune cour préfère la médiation plus terne, mais crédible, des représentants d’une société où l’écrivain débutant a ses repères. Une telle réserve s’accorde assez bien avec l’appartenance de Guéret à l’Académie d’Aubignac, dont il est apparemment un des membres fondateurs, et où il tiendra l’office de secrétaire jusqu’à sa dissolution.
Ces quelques bribes documentaires rassemblées esquissent le portrait d’un esprit plus modeste que réellement timide, qui s’avise avec circonspection de conquérir sa place au soleil, tout en affirmant sa présence dans la conversation des gens d’esprit. Et si l’on ne parle avec esprit que de ce que l’on connaît bien, il ne faut pas s’étonner que l’ouvrage de Guéret qui suit ses premiers essais se situe dans la droite ligne de sa formation professionnelle. C’est en effet en relation affichée avec la culture juridique que Les Entretiens sur l’éloquence de la chaire et du barreau (1666) abordent, sous forme de dialogues, quelques questions disputées en matière de rhétorique. La thématique annoncée dans le titre n’est pas nouvelle : au gré d’un parallèle assez classique entre les exigences respectives de la prédication et de la plaidoirie se glissent des considérations tour à tour morales et techniques sur la légitimité de la culture humaniste dans l’annonce de l’évangile, l’opportunité du pathétique dans le judiciaire ou encore le recours aux citations dans un plaidoyer. L’inscription de ces divers développements dans la logique du Palais tient d’abord à leur matière, qui appelle régulièrement des références aux auteurs spécialisés. Elle se déduit tout aussi bien de la nature des entreparleurs qui, tantôt sous le couvert de “noms de bergers”, tantôt en affichant clairement leur identité, ne sont autres que les collègues directs de l’auteur, lequel n’hésite du reste pas à se mettre en scène parmi eux. Il semble bien que la “boutique” ait repris ses droits. Que reste-t-il, dès lors, de cet embryon de culture mondaine que nous avons cru déceler dans les essais de la première jeunesse ?
La réponse émane du texte lui-même, reflet d’une contamination permanente du champ des pratiques juridiques par les réflexes de la nouvelle culture mondaine. Une illustration parmi d’autres de cette tension apparaît dans le dernier pan de l’ouvrage, une “Dissertation sur l’éloquence” dédiée à “Madame du Ménillet Bochart”. Suzanne de Bouteluys, épouse de Samuel Bochart du Ménillet, appartient par sa famille à la robe, ce qui ne l’empêche pas de présider à une “ruelle” dans laquelle Guéret prétend avoir capté une grande partie des propos qui constituent son essai. Titulaire de prestigieux offices au Parlement de Paris, Samuel Bochart est également un théologien réformé, doublé d’un savant philologue familier de Gassendi, de Guy Patin et de Pierre-Daniel Huet qu’il accompagnera lors de son séjour à la cour de Christine de Suède.
S’il propose à cette interlocutrice de choix un portrait du parfait orateur calqué sur l’exemple de Cicéron, Guéret la rend avant tout attentive à l’importance que l’éloquence continue de revêtir dans la société contemporaine, où il lui incombe de se plier aux goûts et aux usages en cours pour assurer la communication entre les hommes. Tel est l’état d’esprit qui porte notre auteur à recourir au dialogue pour présenter les points de vue de divers interlocuteurs sur l’art qu’ils pratiquent au quotidien. Cette mise en scène est du reste aussi éloignée que possible du cadre rigide dont se satisfont bien des entretiens fictifs à portée didactique ou idéologique. Si les propos échangés se concentrent invariablement sur les centres d’intérêts qu’on cultive au Palais, ils sont régulièrement introduits par l’évocation d’une conversation entre collègues et amis, dans un décor naturel, propice à la confiance mutuelle teintée d’enjouement. De ce point de vue, Guéret pourrait présenter quelque parenté avec l’esprit de René Bary, tel qu’il apparaît par exemple dans son recueil d’Actions publiques sur la Rhétorique française (1658).
A ce titre, l’ouvrage s’accommoderait parfaitement des gravures attrayantes qui accompagnent Les Délices de l’esprit de Desmarets de Saint Sorlin, (1659, réédité en 1661), dont l’argument se décline lui aussi sous forme dialoguée. L’inévitable rigidité du discours technique est ainsi soigneusement dissimulée, ou en tout cas compensée par les aménités de la politesse mondaine. Et il ne s’agit en rien d’une simple parade. L’esprit des salons imprègne en permanence ces débats entre juristes bien nés, dont l’un n’est autre qu’Ortigue de Vaumorière, futur auteur de L’Art de plaire dans la conversation (1688), dont l’épouse figure dans le Dictionnaire des précieuses de Somaize. On perçoit déjà, chez l’auteur des Entretiens sur l’éloquence de la chaire et du barreau, les réflexes qui animeront son Parnasse satirique : son agacement face aux automatismes stylistiques des romanciers, sa perplexité à l’endroit des belles infidèles, sa méfiance envers les succès littéraires à la mode. S’il assume ouvertement sa qualité d’avocat, Guéret rappelle à propos que sa fonction réclame une culture étendue. L’homme de loi est appelé à s’instruire sans relâche, sans compter “la connaissance qu’il doit avoir des belles-lettres”. Mais ces livres-là sont significativement réservés aux loisirs : “il se délasse dans la lecture des poètes, des historiens et des orateurs” (éd. cit. p. 78).
Publiées en 1672 dans un recueil factice en partie lié aux travaux de l’Académie d’Aubignac, Divers Traités d’histoire, de morale et d’éloquence, les harangues attribuées à Guéret, L’Orateur et Si l’empire de l’éloquence est plus grand que celui de l’amour, pourraient être contemporaines des Entretiens, dont elles reprennent occasionnellement les propos. En dépit de leur parution plus tardive, ces opuscules conçus dans l’entourage de d’Aubignac semblent s’inscrire dans la lignée des Conférences de Richesource publiées au début des années 1660. L’idéologie galante demeure une référence axiologique importante de ces conférences académiques rédigées dans l’esprit de la conversation mondaine. C’est au jugement de la cour que Guéret confie la revendication des beautés de l’esprit comme complément indispensable des grâces corporelles :
Et à votre avis, Messieurs, qu’est-ce qui charme le plus en un courtisan ? Est-ce cette mine avantageuse et ces ajustements magnifiques ? Est-ce son nom et sa qualité ? Avouez que tout cela ne fait que du bruit, il n’y a que les âmes communes qui s’y laissent prendre, et c’était fait de nos marquis s’ils n’eussent attrapé le bel esprit. Ce dehors brillant et ces ornements souvent affectés, ne frappent rien que les yeux; c’est une disposition à aimer, mais ce n’est pas une qualité pour se rendre aimable, et sans les grâces du discours, et de l’entretien, ce sont des habits perdus et une bonne mine inutile
(éd. cit. p. 128-129).
C’est de même l’expérience du monde qui lui dicte certaines considérations sur les effets d’un langage harmonieux. L’idée remonte à Cicéron, mais dans la formulation que lui imprime Guéret, elle se rattache, par le biais d’une observation attentive du réel, aux questions stylistiques soulevées par les lettrés de son temps :
Vous ne croiriez pas combien cette harmonie a de pouvoir sur l’esprit du peuple [du public] ; souvent il sera insensible aux raisons les plus puissantes, et se laissera emporter à une belle cadence; et un orateur qui lui débitera des bagatelles magnifiquement, aura l’avantage sur un autre qui lui dira les grandes choses dans un langage négligé. Ce n’est pas que le peuple sache le secret des périodes; il ignore d’où vient ce charme qui le surprend, et il applaudit à ce qui lui plaît et condamne ce qui le choque, sans pouvoir dire pour quelle raison il fait l’un et l’autre. Mais Alcippe, ne vous en étonnez pas : la nature a placé dans ses oreilles une espèce de tribunal, qui connaît de la construction des termes, et à qui l’on doit rendre compte des moindres syllabes
(éd. cit. p. 85).
Ces exercices académiques annoncent par ailleurs la discrétion de l’auteur du Parnasse réformé, peu enclin à se déclarer dans les controverses qui agitent son époque. Ainsi son adhésion à la langue moderne passe-t-elle par des précautions qu’aurait sans doute approuvées un Balzac : l’orateur qui “travaille pour la postérité”, note-t-il, se gardera à la fois de favoriser le langage à la mode des ruelles et d’entretenir un respect trop appuyé pour le passé. Il se débarrassera des termes désuets au profit de ceux qui ont dominé l’épreuve du temps et obtenu, de ce fait, l’approbation de l’Académie. Sagesse sans panache, et au demeurant assez conforme à l’air du temps. Des traits semblables laissent entendre, en tout cas, que celui qui se fera l’écho d’un Parnasse tout de bruit et de fureur n’a lui-même rien d’un boutefeu.
Les trois essais “satiriques” enfin se situent chronologiquement au terme de la carrière de l’homme de lettres. Publiée en 1671 à la suite d’une des rééditions du Parnasse réformé, La Guerre des auteurs est considérée par les biographes comme un prolongement naturel du premier pamphlet. Moréri signale que ce second volet a servi de modèle à Callières pour son Histoire poétique de la guerre des auteurs (1688). « Il avait encore fait quelques autres pièces de même caractère, poursuit la notice de Moréri, qui n’ont jamais vu le jour, entre lesquelles il y avait une satire en prose, qui était très fine, et qu’il avait intitulée La Promenade de Saint-Cloud; mais parce qu’elle était écrite contre un personnage célèbre, qui y était désigné d’une manière à le faire connaître, il la condamna à demeurer manuscrite. »
Dans l’orbite du Palais de Justice
A partir de 1671, Guéret s’adonne exclusivement aux affaires juridiques. Il n’a pas fini pour autant d’écrire et de publier. La production de l’homme de loi ne marque pas de véritable rupture à l’endroit de sa première carrière : si l’écrivain restait un juriste, le juriste restera tout aussi bien un lettré. La réalisation majeure, qui lui vaut encore une réputation considérable au XVIIIe siècle, est le Journal du Palais, entreprise complexe qui oscille entre le statut d’ouvrage autonome et de périodique. Fruit d’une intense collaboration avec son ami Blondeau - que nous avons entr’aperçu dans Les Entretiens sur l’éloquence -, cette série de recueils publiée à une cadence variable à partir de 1672 survivra au décès de son principal initiateur. Le projet s’inscrit dans la tradition juridique des “arrêts notables”, compilation des décisions enregistrées par les cours judiciaires dont on tire les bases de la jurisprudence. Il s’agit d’une démarche largement accréditée, mais qui suscite encore certaines réserves. Plusieurs juristes estiment que la similarité observée d’un cas à l’autre est purement illusoire, et qu’il n’est par conséquent pas judicieux d’appliquer à un cas précis la résolution dictée par un précédent dont les circonstances ne sont pas nécessairement les mêmes. Publier des arrêts notables équivaut donc à s’engager dans une option pragmatique vouée à la controverse. Les auteurs du Journal du Palais s’appuient sur un recours très analytique à la culture juridique. On retrouve dans cette attitude certains aspects de la personnalité de Guéret, tels que la révèlent ses écrits littéraires. S’il s’intéresse à l’éloquence du barreau, c’est moins en vue d’une application professionnelle que dans une perspective théorique. En soulignant à maintes reprises les difficultés extrêmes que recèle l’art de plaider, il se donne comme un perfectionniste que seule une “idée” de l’éloquence judiciaire est à même de satisfaire. Le projet monumental du Journal du Palais laisse entrevoir le même esprit systématique, exigeant, soucieux d’aller au fond des choses : les arrêts ne sont pas seulement collectionnés, mais dûment analysés.
En même temps, cette publication emprunte la voie innovante du périodique, même si elle ne parvient pas à assumer jusqu’au bout cette nouvelle logique. Ce n’est peut-être pas par hasard que l’année où prend forme l’initiative conjuguée de Guéret et Blondeau est précisément celle qui voit naître le Mercure galant. On reconnaît à ce choix un pari pour la communication, dont témoignent de leur côté des ouvrages critiques mimant, par la voie du dialogue, la concurrence de points de vue divers. L’associé de Blondeau, l’habitué du cercle d’Aubignac a compris que l’on pense mieux à plusieurs. La fréquentation des salons, qu’atteste notamment la dédicace à Mme Bochart, le confirmera dans cette conviction, tout en l’invitant à décliner ces échanges dans l’atmosphère gracieuse qui fait oublier les aspérités de la profession.
De cet homme à la fois passionné par la science juridique et peu enclin à passer pour un pédant, Moréri a tracé en quelques lignes un portrait très parlant que reprendront presque tous ses successeurs : “Il était d’un goût excellent, et avait le discernement fin : sa critique était toujours judicieuse, sa conversation très agréable, et il mérite surtout d’être loué pour une égalité d’humeur, qu’on vit en lui très constante, sans que les occupations pénibles de son emploi, aient jamais altéré la gaieté de son esprit” (éd. cit., p. 130). On comprend que, sans céder sur le sérieux de ses compétences et de son savoir, Gabriel Guéret s’est révélé parfaitement adapté à la culture mondaine.
Bibliographie
Sur les Avocats au Parlement voir :
Acerra Martine. « Les Avocats du Parlement de Paris - 1661-1715 », Histoire, économie et société. 1982, 1e année, n°2. p. 213-225. doi : 10.3406/hes.1982.1289
Yves Le Guillou, Les Avocats du Parlement de Paris. Histoire sociale et culturelle, mémoire de l’ENSSIB, 1999.