Les références explicites à la figure emblématique du pédant ne sont pas fréquentes chez Guéret. Des trois dialogues critiques, seul Le Parnasse réformé y fait allusion, et cela de manière plutôt discrète. En dépit de ces mentions apparemment évasives, le spectre du pédant sollicite de toute évidence la réflexion de l'auteur, qui en traque la présence à travers d'autres relais : galimatias, démangeaison d'écrire, poète crotté, etc.
"Les Pédants sur scène"
En déplorant le retour du pédant au théâtre (p. 87), Tristan L'Hermite relie le personnage du clerc prétentieux, tel que l'incarnent par exemple le Granger de Cyrano de Bergerac (Le Pédant joué, 1645-1646) ou le Gastimargue de Charles Sorel (Polyandre, 1648), à la caricature traditionnelle du pédagogue aussi inepte qu'arrogant, bien présente, déjà, dans la farce et la satire médiévales. La notoriété du pédant prolonge par ailleurs celle du pedante, protagoniste régulier de la comédie érudite italienne, et de son pendant, le dottore de la commedia dell'arte.
Le succès assuré que rencontre, en France comme en Italie, cette représentation dérisoire de l'autorité scolastique n'est évidemment pas sans rapport avec une méfiance croissante à l'endroit de la tradition universitaire, battue en brèche par l'humanisme naissant. Montaigne est le porte-parole ironique d'une culture réfractaire aux lourdeurs de l'école (Essais, I, 25, "Des pédants" et I, 26, "De l'institution des enfants"). Son rejet des suppôts "crottés et enfumés" d'un savoir indigeste traduit une suspicion largement partagée, que confirme l'évolution sémantique du terme "pédant" : au sens neutre de "pédagogue" se joint très tôt la connotation dépréciative qui s'est maintenue jusqu'à aujourd'hui. La bêtise du "sot savant … plus sot qu'un ignorant" (Les Femmes savantes, IV, 2, v. 1295) se double occasionnellement d'une humeur hargneuse teintée d'agressivité. Le pédant de théâtre entre en scène pour affirmer ses prérogatives et défendre son pré carré.
Cicéron otage des pédants
En relayant l'ire de Cicéron contre les maîtres d'école, coupable de ramener ses oraisons à l'aune d'un exercice scolaire, l'auteur du Parnasse réformé révèle les deux visages antagonistes de la culture héritée des Anciens. Le Cicéron brutalement imposé aux jeunes esprits, au point de les dégoûter à tout jamais des livres lorsqu'ils sortent du collège, résume les impasses d'une tradition scolaire qui se perpétue en vase clos. En répétant inlassablement les mêmes certitudes, elle consomme la rupture avec une source textuelle dont elle ne recueille plus la sève vivifiante. Cette approche défectueuse d'un des parangons de l'héritage antique suggère en creux l'attitude inverse qui, au-delà de l'orateur insigne, prise en Cicéron l'auteur délicat des Lettres à Atticus, maître d'une prose aérée, élégante et naturelle, dans laquelle les meilleurs esprits reconnaîtront l'idéal de l'urbanité.
"Une galanterie bourgeoise ou pédantesque"
Cette interprétation dichotomique, selon laquelle le pédant servirait essentiellement à parodier un savoir déficient, relégué dans les limites d'une institution en perte d'influence face à l'avènement d'un public qui l'ignore, ne saurait cependant rendre compte de sa présence insistante dans les débats littéraires qui se succèdent au XVIIe siècle. Comment expliquer notamment que, sous la plume de Guéret, Giry s'en prenne aux imposteurs incultes qui falsifient la véritable éloquence sous les traits d'une "galanterie bourgeoise et pédantesque" (p. 87) ? N'assistons-nous pas ici à une parfaite contradiction des termes ?
Ce double oxymore pourrait être envisagé comme le reflet d'un automatisme répandu, qui conduit à suspecter l'ombre rédhibitoire du pédant chaque fois qu'il s'agit de prendre en défaut un adversaire. A cette enseigne, l'injure n'est plus exclusivement l'apanage des mondains ou des nouveaux doctes, pressés d'en finir avec le latin de collège et les résidus de la science indigeste qu'il véhicule.
Personne n'échappe donc à l'épithète : on est toujours, sous un angle donné, le pédant d'un autre. D'où le motif, brillamment exploité par Molière, de la querelle des pédants. L'exemple le plus éloquent est sans doute celui de Balzac. Quand il n'est pas taxé de plagiaire par le P. André, le "Grand Epistolier de France" se voit ridiculisé sous les traits d'Hortensius par l'auteur de Francion. En manière de réplique, il s'engagera à son tour dans la cabale engagée contre Pierre de Montmaur, professeur au Collège de France : le Barbon, réédité en 1663 avec l'Apologie d'Ogier, aligne tous les poncifs d'un réquisitoire apparemment inépuisable.
Le débat entre les malherbiens et les tenants de la tradition ronsardienne, débat déjà ancien mais perçu comme significatif par les contemporains de Guéret, offre une autre illustration de cette collusion des charges. C'est en raison de leurs références érudites au monde antique et de leur style volontiers archaïsant que les poètes de la Pléiade sont mis à l'écart, comme autant de pédants susceptibles de compromettre le charme d'un art que l'on souhaite désormais plus léger. Cependant, les réformateurs de la langue qui dédaignent leurs ouvrages seront à leur tour épinglés. La Satire IX de Régnier, en particulier, les décrit comme des esprits dogmatiques et intransigeants dont la raideur n'a rien à envier aux étroitesses de l'école. Ces griefs seront repris dans la Comédie des Académistes (1650), où Saint-Evremond confie à Mlle de Gournay et à Pierre Charron la dénonciation des normes linguistiques préconisées par l'Académie comme autant d'atteintes à la liberté du poète, et surtout comme une tentative ridicule de juguler l'évolution de la langue.
Suivant une logique analogue, Ménage sera surnommé le "pédant coquet" par Cotin, lequel souligne au gré de cette formule le paradoxe d'un pédantisme qui s'exerce précisément dans l'espace culturel censé y être allergique. Stigmatisé par ses adversaires en raison de sa fidélité aux Anciens et de sa propension à censurer autrui, Boileau prend à son tour un malin plaisir à dénoncer chez Perrault le contre-pédantisme d'un "homme plein de lui-même, qui, avec un un médiocre savoir, décide hardiment de toutes choses" (Réflexions critiques sur quelques passages de Longin, V).
On pourrait multiplier les exemples qui conduisent Furetière à déclarer qu'"il y a des pédants aussi bien à la ville qu'à la cour." Voilà pourquoi Vadius et Trissotin se retrouveront de conserve au banc des accusés …
Orientation bibliographique
Mark Bannister, "The Montmaur Affair : Poetry vs Pedantry in the Seventeenth Century", French Studies, 33, 1979, p. 397-410.
Bernard Beugnot, "Eloge historique de l'érudition", in La Mémoire du Texte, Paris, Champion, Essais de poétique classique, Paris, Champion 1994, p. 417-426.
Robert Garapon, Article Pédant du Dictionnaire des Lettres françaises, XVIIe siècle, rééd. La Pochothèque, 1996, p. 977-978.
Alain Viala, Naissance de l'Ecrivain, Paris, Minuit, 1982, p. 153 sq.
Roger Zuber, "Esprit satirique et satire en vers", in Les Emerveillements de la raison. Théorie et critique à l'âge classique, Paris Klincksieck, 1997, p. 219-223.
Claude Bourqui et Georges Forestier, Notice des Femmes Savantes, éd. des Oeuvres complètes de Molière, Pléiade, 2010, t. 2, p. 1515-1516.