– Cette fiche fait partie de l'édition critique numérique du Parnasse réformé

Pétrone

Pétrone se félicite, dans le Parnasse réformé, d'avoir échappé aux traducteurs "cagots". Son Satyricon n'est pas pour autant ignoré des gens de lettres.

Une traduction tardive

L'édition princeps du Satyricon, publiée à Milan en 1482, bénéficie des recherches de plusieurs humanistes, dont le célèbre Poggio Bracciolini. Il faudra attendre 1669 pour voir paraître, à Amsterdam, la première édition incluant le "Festin chez Trimalcion" (fragment de Trau), que traduira l'abbé de Marolles en 1677. Le Pétrone en vers publié chez Barbin en 1667 est également attribué à Marolles.

La "découverte" d'un nouveau fragment, qui est en l'occurrence un faux, donne en 1691 l'occasion à François Nodot de présenter à l'Académie française un texte réputé "complet", qu'il éditera deux ans plus tard en version bilingue : La Satyre de Pétrone, traduite en français avec le texte latin suivant le nouveau manuscrit trouvé à Belgrade en 1688. Cet ouvrage sera régulièrement réimprimé jusqu'à la fin du XVIIIe siècle.

Dans sa préface, Nodot rend compte des quelques traductions fragmentaires qui ont précédé la sienne, et dont il souligne comme il se doit les défauts. Ses jugements font en quelque sorte écho aux appréhensions que prête Guéret à l'auteur du Satyricon : "Tous ont défiguré Pétrone, parce que les scrupuleux l'ont mutilé, et rendu difforme, et que les ignorants l'ont habillé en masque" (cité d'après l'éd. de Pierre Groth, Cologne, 1694, n. p.).

L'éloge de Saint-Evremond

En dépit d'une transmission partielle et malaisée, le Satyricon est largement diffusé en France (12 éditions entre 1667 et 1693), où il bénéficie d'un accueil très favorable, ainsi que le souligne Nodot dans sa préface : "Je n'ai pas seulement reconnu cette affection générale qu'on a pour Pétrone dans les discours de tous les savants avec qui j'ai conversé ; mais encore de tous ceux qui le connaissent ; car enfin, c'est un air à présent, et particulièrement entre les personnes de qualité, que d'aimer Pétrone, et d'en savoir les beaux endroits". Condé, Bussy-Rabutin, le jeune Racine, La Fontaine, mais aussi Balzac, le P. Rapin, et dans une moindre mesure P. D. Huet se font l'écho de la séduction qu'opère cette prose si accordée, par sa subtilité enjouée, au goût mondain.

Il va sans dire que l'esprit de transgression qui habite cette oeuvre lui vaut l'aval du milieu libertin. L'éloge que lui réserve Saint-Evremond dans son Jugement sur Sénèque, Plutarque et Pétrone (1664) va naturellement dans ce sens, avec une nuance supplémentaire : Pétrone est à ses yeux "le seul de l'Antiquité qui ait su parler de galanterie" (Oeuvres en prose, éd. cit., vol. 1, p. 164-186). Cette sensibilité toute moderne fait que son génie l'emporte sur celui de Corneille, qui a pourtant su faire parler si galamment les Anciens. Par ailleurs, Saint-Evremond anticipe en quelque sorte sur la dénonciation des "traducteurs cagots" en soulignant chez Pétrone une souplesse de la forme et un raffinement de la pensée susceptibles d'"envelopper les ordures" (éd. cit., p. 184). L'essai de Saint-Evremond comprend une traduction en prose de la Matrone d'Ephèse, que La Fontaine mettra en vers (Fables, XII, 26 et Contes de 1682).

Dans La Guerre des auteurs (p. 35), Guéret rend compte du double visage, mondain et libertin, attribué à Pétrone. En butte à la fureur des moralistes antiques - Zénon, Socrate, Epictète, Arien - auxquels se joint le moderne Scioppius (1576-1649), il est sauvé in extremis par Juvénal qui ridiculise l'emportement des philosophes, si peu maîtres de leurs passions.

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