Le Parnasse réformé débute sur une note idyllique, dont l'apparente candeur n'est manifestement pas à entendre au premier degré.
Le cadre initial du Parnasse réformé est l'espace champêtre, régulièrement associé à l'expérience du loisir lettré. Il anticipe en quelque manière le séjour du Parnasse, présenté comme une "campagne riante" (p. 3). On reconnaît dans cette brève description les composantes du décor topique que la tradition rhétorique définit comme locus amœnus. Les trois éléments constitutifs de ce paysage choisi, l'herbe, les arbres et l'eau, y apparaissent sous la forme méliorative des parterres fleuris, des chants d'oiseaux et de la fontaine. Cette idéalisation un peu fade se voit habilement relevée par le contraste d'un bois obscur, emprunté sinon au registre complémentaire du locus horridus, du moins au décor traditonnel de la "solitude" poétique.
L'élection du cadre bucolique est en outre associée à l'avènement de la saison nouvelle - encore un topos - qui invite le narrateur à quitter la ville pour séjourner aux champs. L'opposition entre la ville "ennuyeuse" et l'air bienfaisant de la campagne est à son tour un des arguments topiques rattachés la veine pastorale. Il s'agit bien moins, on l'aura compris, d'hygiène environnementale que de la consécration symbolique d'un lieu purifié de toutes les compromissions liées à la vie citadine et aux obligations de la cour. Cette valorisation de la retraite, qui renoue avec Horace et Virgile, est par exemple exploitée par Erasme, au seuil de son Convivium religiosum : "Alors qu'en ce moment la campagne tout entière reverdit et prend un air riant, je m'étonne fort que des gens trouvent de l'attrait dans les villes enfumées" (trad. J. Chomarat et D. Ménager, Œuvres choisies, Livre de Poche classique, 1981, p. 618). Plus proche de Guéret, Boileau recourra à ce topos pour introduire son Epître VI à Lamoignon (1677) :
Oui, Lamoignon, je fuis les chagrins de la ville.
Et contre eux la campagne est mon unique asile.
Cet attrait pour la solitude champêtre ne va toutefois pas sans arrière-pensée. Pascal Debailly souligne la relation entre la résurgence moderne de la célébration bucolique et le registre de la satire. L'éloge de la solitude se décline très souvent, par exemple, comme la contrepartie de la récrimination anti-aulique.
Sans verser dans cette variante agressive du thème pastoral, Guéret ne s'emploie pas moins à en troubler délibérément l'harmonie. Dès le second paragraphe, il place son narrateur en alerte, soucieux de ne point perdre le moindre détail des beautés environnantes, dans lesquelles il s'avise surtout de retrouver la trace des poètes qui les ont célébrées. Ce court-circuitage des beautés naturelles par une culture littéraire un peu trop appliquée culmine dans l'évocation du soleil levant. Lieu obligé de la description poétique, en référence aux évocations, fréquentes chez Homère, de l'Aurore ou de Phaéton, la trajectoire du soleil fait régulièrement l'objet de joyeuses parodies, dont la plus célèbre est celle de Scarron: "Le soleil avait achevé plus de la moitié de sa course et son char, ayant attrapé le penchant du monde, roulait plus vite qu'il ne voulait. Si les chevaux eussent voulu profiter de la courbe du chemin … [...] Pour parler plus humainement et intelligiblement, il était entre cinq et six quand une charrette entra dans les Halles du Mans." (Roman comique, I, éd. A. Adam, Romanciers du XVIIe siècle, Pléiade, 1958, p. 532).
Guéret s'attachera lui-même à plusieurs reprises au motif de l'aurore pour ridiculiser le style ampoulé des déclamateurs : "il y en a eu beaucoup d'entre eux qui pour dire seulement 'il est jour,' se plaisaient à représenter la fuite des étoiles et l'arrivée de l'Aurore" note-t-il par exemple dans la Lettre à Mme du Ménillet qui introduit ses Entretiens sur l'éloquence de 1666 (p. 119). Il revient à charge, à propos du prosateur opposé au poète : "S'il veut dire que le jour commence, il le dit naturellement, sans parler de la fuite des Etoiles et de l'arrivée de l'Aurore". (L'Orateur, Divers Traités, p. 56). Que penser par conséquent de ce narrateur qui éprouve, pour jouir pleinement du lever du jour, la nécessité de "repasser en [son] esprit les descriptions que nos poètes en ont faites" (p. 1-2) ? Guéret ne cherche pas positivement à le tourner en ridicule, peut-être, mais il glisse dès son introduction la vibration ironique propre à avertir un lecteur trop confiant : le petit livre qu'il s'apprête à découvrir est d'essence ludique. Les argumentations qui s'y déploieront au fil des débats, aussi bien que les jugements qui prétendront y apporter une conclusion, ne sont à aucun cas à prendre à la lettre.
Orientation bibliographique
Ernst-Robert Curtius, La Littérature européenne et le Moyen Âge latin, Paris, Presses universitaires de France, 1956, ch. X, "Le paysage idéal", p. 301-326.
Pascal Debailly La Muse indignée, I, Paris, Garnier, 2012, p. 823-824.